Pas UN mais DES digestats
Il n’existe pas UN mais DES digestats. Les données de caractérisation physico-chimiques ont permis de mettre en évidence la variabilité de la composition globale et agronomique des digestats.
Sources de variabilités dans la filière méthanisation (icônes réalisées par Surang et Freepik sur Flaticon.com)
Variabilité des intrants
Une des sources majeures de variabilité identifiée dans la filière méthanisation est la recette d’intrants. Les intrants de méthanisation sont des matières résiduelles organiques provenant de diverses origines : activité agricole, activité urbaine, activité agro-industrielle. Cette diversité d’intrants génère des compositions de digestats très contrastées.
Parmi plus de 96 intrants possibles identifiés, 16 catégories ont été proposées afin de classer cette très grande diversité d’intrants. Le tableau présente ces catégories et les intrants que chacune regroupe.
Quels intrants sont les plus méthanisés ?
Les intrants majoritaires dans la ration et les plus fréquemment digérés sont les effluents d’élevage (fumier, lisiers de ruminant et de non ruminant) et autres effluents d’élevage (moins fréquemment, 4 %).
Les matières végétales intra-exploitation et la catégorie “Divers” provenant de divers intrants sont fréquemment utilisées comme co-substrats, mais en quantités plus faibles (moins de 25 % de la ration).
Les CIVE (cultures intermédiaires à vocation énergétique), les matières végétales provenant d’industrie agro-alimentaire (IAA), les déchets d’IAA et les ensilages sont également fréquemment utilisés (entre 27 et 37 %) à des rations très variables, notamment pour les CIVE et matières végétales d’IAA.
Les graisses et biodéchets apparaissent à des rations non négligeables, pouvant aller de 22% à plus de 70 % de la ration pour les biodéchets.
Bien que les effluents d’élevage restent majoritairement les intrants digérés, intrants historiquement utilisés, la diversité de la fréquence et de la quantité d’intrants d’origines diverses montre l’évolution de l’usage de la méthanisation du simple traitement des résidus à leur réelle valorisation.
Quels intrants sont plutôt méthanisés ensemble ?
Les fumiers sont le plus souvent digérés avec des lisiers de ruminants et des matières végétales d’origine agricole, y compris les ensilages, co-substrats de l’exploitation.
Les lisiers de ruminants sont plutôt digérés avec des déchets issus de l’industrie agro-alimentaire (IAA), des graisses, des déchets animaux (résidus d’abattoir) et des déchets végétaux « autres » (déchets verts, herbe, tonte, fauche…) et provenant d’IAA, co-substrats plutôt non agricoles mais également avec des cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE).
Les biodéchets, boues (urbaines, IAA) et autres effluents d’élevage sont regroupés ensemble et sont assez proches du groupe contenant le lisier de non ruminant et les intrants provenant de l’extérieur de l’exploitation.
Quels impacts ont les intrants sur la composition des digestats ?
La typologie des digestats mise en place est expliquée majoritairement par les intrants.
Les intrants de type fumier de ruminant, fibreux, confèrent aux digestats bruts un potentiel amendant caractérisé par une teneur en matière sèche plus élevée (8-12 % matière brute), des teneurs en matière organique élevées (56-70 % matière sèche), associées à une fraction de carbone stable élevée (16 à 34 %C), un ratio C/N également plus élevé (6-9) et des teneurs en nutriments plus faibles avec moins d’azote minéral directement disponible (27 à 49 % de l’azote total), associé à un coefficient d’engrais plus faible (0,3-0,45) en comparaison avec les autres digestats bruts.
Au contraire, des intrants à majorité de type lisier de non ruminant (tels que les lisiers de porc ou fientes de volailles), riches en azote, confèrent aux digestats un potentiel fertilisant caractérisé par des teneurs élevées en azote total (4 à 6 g N/kg matière brute) et ammoniacal (60 à 77 % de l’azote total), avec des coefficients d’équivalence engrais plus élevés (0,5 à 0,7) similaires au lisier de porc. Les digestats issus de ce type d’intrants majoritaires sont également caractérisés par des teneurs plutôt élevés en phosphore (1-5 g P2O5/kg matière brute soit 38-67 g P2O5/kg matière sèche) et en potassium (2-10 g K2O/kg matière brute soit 65-115 g K2O/kg matière sèche) par rapport aux autres digestats, mais ont une plus faible teneur en matière sèche (3-5 % matière brute), un faible ratio C/N (2-4) et un carbone stable également plus faible (46-65 %C). A noter que ces intrants contenant des teneurs en cuivre et zinc plus élevés, les digestats associés ont également les teneurs les plus élevées en ces éléments.
Les biodéchets et effluents graisseux participent à exacerber le potentiel fertilisant en apportant plus d’azote et moins de matière organique lorsqu’ils sont ajoutés dans la recette d’intrants. Les matières végétales ont un impact intermédiaire selon la nature du végétal (plus ou moins biodégradable) pouvant conférer aux digestats une teneur en matière organique plus élevée.
Variabilité des conditions opératoires du méthaniseur
Les méthaniseurs sont des procédés biologiques pouvant avoir différentes configurations et conditions opératoires (cf. qu’est-ce que la méthanisation?), susceptibles d’impacter les caractéristiques du digestat.
Quelles sont les conditions opératoires les plus communes en méthanisation ?
Concernant les conditions opératoires, le procédé le plus commun est celui en voie humide, continu et mésophile. Les procédés en voie sèche ne représentent qu’environ 5 % des cas et sont surtout liés aux intrants de type fumiers de ruminants.
Le temps de séjour dépend du type d’intrants : de 64 jours à 240 jours (médiane 100 jours) pour la méthanisation en voie humide de type fumier/lisier de ruminant, et de 40 jours à 160 jours (médiane 68 jours) pour la méthanisation en voie humide de type lisier de non ruminant.
Quels impacts ont les conditions opératoires sur la composition des digestats ?
Étant donné que les conditions opératoires sont dépendantes des intrants, il est difficile de décorréler les deux. Toutefois, la voie sèche, liée aux intrants de type fumiers de ruminants, confère aux digestats des teneurs en matière sèche plus élevées et a le même effet sur la composition que l’effet “intrant” lié au fumier. De même, un temps de séjour plus élevé permet d’aller plus loin dans la biodégradation d’intrants lentement biodégradables, ce qui impacte la minéralisation de la matière organique et sa stabilisation.
Variabilité des post-traitements
Des post-traitements peuvent également être utilisés avant utilisation ultérieure des digestats (séparation de phases, stockage, compostage, cf. qu’est-ce que la méthanisation?) et sont sources de variabilité.
Quelles sont les post-traitements les plus communs en méthanisation ?
40 % des digestats répertoriés dans le projet Ferti-Dig sont issus de séparation de phases, majoritairement via une presse-à-vis et minoritairement via une centrifugation. Cette donnée est importante pour l’efficacité du séparateur de phases. La presse-à-vis représente un procédé à faible efficacité de séparation en comparaison avec la centrifugation. Concernant le stockage, depuis 2021, la réglementation impose une couverture des fosses de stockage, sauf dans le cas des lagunes si l’on justifie d’un temps de séjour de 80 jours de digestion en amont. 60 % des digestats répertoriés sont stockés sans couverture, ce qui représente la majorité des cas répertoriés en 2020. Il est à noter que cela aura également une incidence sur le devenir des éléments contenus dans le digestat, notamment via le potentiel de volatilisation de l’azote ammoniacal dans ces conditions. Enfin, le compostage est rarement répertorié (moins de 5 %). Toutefois, le stockage des digestats solides, selon la durée de stockage et le mode de stockage, s’approche d’un processus de compostage. Or aucune information n’a pu être répertoriée sur le temps de stockage associé au prélèvement du digestat caractérisé.
Quels impacts ont les post-traitements sur la composition des digestats ?
La séparation de phases permet l’obtention de deux produits ayant des caractéristiques différentes.
- La fraction liquide est plutôt riche en nutriments (notamment azote minéral, potassium et phosphore si la séparation a une faible efficacité telle que la presse-à-vis), lui conférant un potentiel fertilisant.
- La fraction solide est plutôt riche en matière sèche (22 à 39 % MB), en matière organique (75-90 % MS), en fibres et dans les cas d’une séparation à forte efficacité (centrifugation), riche en phosphore (cf. taux de capture). Au contraire, elle contiendra peu d’azote et de potassium.
Toutefois, étant donné que la presse-à-vis est le procédé de séparation majoritaire (80 %) dans les méthaniseurs agricoles en France, la répartition des éléments contenus dans le digestat brut est statistiquement très proche de celle de la phase liquide (90 % de la matière brute est récupérée) (cf. Valeur agronomique des digestats).
L’impact du stockage des digestats bruts et liquides dépend de la modalité de stockage (lagune/cuve et avec/sans couverture). Selon le temps de séjour en amont et le type d’intrant, la matière organique non dégradée peut l’être durant cette étape impactant la teneur en matière organique. L’azote ammoniacal peut également être volatilisé et perdu durant cette étape (impact exacerbé s’il n’y a pas de couverture) ou encore transformé en nitrate selon les conditions de stockage (cf. Pertes d’azote par volatilisation et Pertes d’azote dans l’eau).
Le stockage des digestats solides, selon la durée et le mode de stockage, s’approche d’un processus de compostage. Ainsi, la composition de la fraction solide des digestats et celle des digestats compostés sont statistiquement similaires. Toutefois, un compost contiendra une teneur en matière organique plus faible (47 à 74 % MS) qu’une fraction solide, et un carbone plus stable (83 % à 89 % C).
Sept classes de digestats
Sur une base de données comptant 481 observations de digestats et leurs paramètres physico-chimiques associés, sept classes de digestats ont été retenues, expliquée par les sources de variabilité impactant la qualité des digestats, à savoir le type de méthanisation (voie sèche et voie humide), le post-traitement (séparation de phases) et les intrants (ruminants, non ruminants, co-digestion intermédiaire et majorité végétaux) : trois groupes de digestats bruts/liquides, trois groupes de digestats solides/composts et un groupe brut voie sèche, comme illustré par la figure suivante.
Les digestats bruts et les phases liquides ont été regroupés ensemble d’une part et les digestats solides et composts ont également été étudiés ensemble d’autre part :
- Les digestats bruts et liquides ont des qualités physico-chimiques très proches, du fait de la faible efficacité du séparateur de phases le plus utilisé dans les sites référencés (presse-à-vis).
- Les digestats solides et compostés ont aussi des caractéristiques proches, étant donné que le stockage des digestats solides, selon la durée de stockage et le mode de stockage, s’approche d’un processus de compostage bien qu’aucune information sur le temps de stockage des solides n’ait pu être référencée.
Les digestats bruts voie sèche sont considérés comme une classe à part entière, étant donné que le type de procédé (voie sèche en discontinu) est différent de l’ensemble des méthaniseurs en voie humide et en continu référencés dans la base de données.
Dans chaque groupe, les intrants expliquent la variabilité de la composition physico-chimique des digestats selon trois grandes familles d’intrants nommées : majorité fumier et lisier de ruminants, majorité lisiers de non ruminants, autres situations dont majorité végétaux.
Le tableau définit chaque classe et synthétise les propriétés associées.
Les fiches classes de digestats reportent les caractéristiques chiffrées associées à chacune d’elles.
Propriétés agronomiques par classe de digestats
Selon la classe de digestats, le potentiel amendant et fertilisant varie. Les fractions solides ont un potentiel plus amendant et moins fertilisant que les digestats bruts et leurs fractions liquides. Toutefois, les intrants apportent leurs effets sur la valeur agronomique des digestats, modulant l’intensité des propriétés amendantes et fertilisantes dans chacun des deux sous-groupes (brut/fraction liquide et fraction solide).
La valeur agronomique des digestats peut être illustrée par le positionnement de chaque classe en fonction des potentiels amendant et fertilisant, illustrés par des indicateurs mesurables. L’ajout de références de produits résiduaires organiques classiquement épandus permet de comparer chaque classe avec ces produits, comme illustré dans la page Valeur agronomique.
Ainsi, un gradient décroissant des propriétés amendantes des digestats apparaît des digestats bruts ou fractions liquides aux fractions solides ; et un gradient croissant des propriétés fertilisantes apparaît entre les trois types d’intrants majoritaires identifiés, des fumiers de ruminants aux lisiers de ruminants méthanisés avec des biodéchets et/ou graisses.
Ce résultat est confirmé par l’étude du coefficient d’équivalence engrais KeqN déterminé par des essais au champ. Le KeqN est plus élevé pour des digestats bruts/liquides, et l’est significativement lorsque des digestats issus de lisiers non ruminants (également en co-digestion avec des biodéchets et effluents graisseux ou agroalimentaires) sont utilisés dans les essais au champ (KeqN > 0,6).
Pour aller plus loin: données
Une base de données décrivant la composition de 608 digestats provenant de 165 sites a été réalisée dans le cadre du projet Ferti-Dig. Les analyses et chiffres proposés sont issus de l’analyse de ces données. La base de donnée est disponible ici.
Sur les 608 digestats, 481 observations ont été utilisées afin d’établir les classes de digestats. Les statistiques de ces données par classe sont disponibles dans cette page.
La typologie des digestats n’a pas d’impact significatif sur le pH des digestats.
Le pH des digestats est globalement élevé, résultat de la transformation de la matière dans le méthaniseur ayant un impact sur les équilibres acido-basiques. La minéralisation de l’azote organique en azote ammoniacal, qui, en solution, se transforme partiellement en ions ammonium (NH₄⁺) et en ions hydroxyde (OH⁻), augmente ainsi le pH du digestat. La présence d’ammoniac, combinée avec la dissolution du CO2 en bicarbonates (HCO₃⁻) pendant la méthanisation, contribue également à cette augmentation.
Le projet Ferti-Dig a permis de recenser des données associées aux caractéristiques des digestats, dont le pH. Les plages de pH sont plus variables pour les digestats solides, avec des pH allant de 7,6 à 9,5, que pour les digestats bruts et liquides, qui ont des valeurs plus faibles allant de 7,5 à 8,6. Toutefois, ces derniers ont des valeurs similaires malgré des intrants différents. Les digestats bruts issus de voie sèche ont des pH compris entre 8 et 9,5, proches des solides. Il n’y a pas de différences significatives entre les digestats.
Malgré une plage de valeurs de pH plus faibles pour les digestats bruts et liquides, il n’y a pas d’effet significatif de la typologie sur le pH mesuré.
Il est à noter que la mesure du pH dépend des équilibres chimiques et est très sensible aux facteurs tels que les conditions de température et de conditionnement de l’échantillon.