De manière générale, l’application de produits résiduaires organiques (PRO) est favorable aux populations de vers de terre (lombriciens) en parcelle agricole. Cependant, dans certains cas, après application de digestats, on peut observer des vers de terre morts à la surface. Ce phénomène ne concerne pas tous les digestats et peut également être observé après application de fumiers ou de lisiers frais. Les estimations de populations de vers de terre un an après le dernier épandage sur deux sites expérimentaux montrent que les effets positifs et négatifs se compensent et que l’application de digestats ne représente pas un risque pour les communautés de vers habitant ces sols.

Effets immédiatement après application

Dans les jours qui suivent l’application de digestats sur des parcelles agricoles et avant leur enfouissement, on peut parfois observer des vers de terre morts à la surface du sol (photo ci-dessous). Ces mortalités ne sont pas observées systématiquement après application de digestats. Il est important de noter que des mortalités de surface peuvent également être observées après application de fumiers ou de lisiers frais et ne se limitent donc pas au seul cas des digestats.

Deux facteurs peuvent permettent d’expliquer ces variations, ces deux hypothèses n’étant pas exclusives :

  • la composition du digestat ;
  • les conditions climatiques au moment de l’application.

Effets de la composition des digestats sur la mortalité immédiate de surface

La composition des digestats est très diversifiée notamment à cause de la diversité des sources de matière organique utilisées (cf. composition des digestats). Parmi les composés des digestats qui peuvent être toxiques pour les vers de terre, l’ammoniaque est souvent citée. De fait, des expériences réalisées en laboratoire ont montré que des concentrations élevées en ammoniaque pouvaient provoquer la mort des vers de terre. Cela pourrait expliquer que les digestats les plus riches en ammoniaque pourraient provoquer la mort des vers ; néanmoins, d’autres composés pourraient également jouer un rôle.
Dans le cadre des projets « MétaMétha » et « Ferti-Dig », des mortalités de surface ont pu être observées dans les 48 heures après application. En posant des quadrats au sol et en dénombrant le nombre de vers morts en surface, nous avons pu calculer que ces mortalités concernaient moins de 2 % de la population totale. Néanmoins, ces valeurs sont peut-être sous-estimées car des vers ont pu également mourir dans le sol.

   Mortalité de surface observée 24 à 48 heures après application de digestats et de lisiers (projet MétaMétha, site de Nouzilly)
 
Type de produit épanduNombre de vers morts en surface (/m2)Nombre total de vers (/m2)Pourcentage de mortalité
(A) Digestat liquide2,71382 %
(B) Digestat brut1,5821,8 %
(C) Lisier de bovin laitier1,71261,3 %

(A) épandage de digestat territorial : solide en été et liquide au printemps (18 t/ha)

(B) épandage de digestat territorial brut (20 t/ha) en été et au printemps (pas de séparation de phases)

(C) fertilisation avec du fumier de bovins compact en été et du lisier liquide de bovins (18 t/ha) au printemps (provenant d’une ferme laitière)

Le digesteur traite jusqu’à 12 000 tonnes de déchets par an (lisier de bovins, fumier de bovins et de chevaux, boues d’épuration, graisses, déchets agro-industriels, résidus de céréales et ensilage d’herbe.
Le temps de rétention est de 100 jours. Le digestat peut être épandu à l’état brut ou après séparation des phases à l’aide d’une presse à vis. Dans ce dernier cas, le digestat liquide est stocké dans une lagune ouverte et le digestat solide est stocké sur une plateforme extérieure dédiée.

Effets des conditions climatiques à l’épandage sur la mortalité immédiate de surface

En général, les vers de terre évitent d’être présents à la surface dans la journée car la prédation (notamment par les oiseaux) est forte. Naturellement, les vers de type anécique (qui se nourrissent de matière organique en surface et se cachent ensuite en profondeur) s’alimentent pendant la nuit.
Cependant, en cas de stress (par exemple des vibrations importantes) ou lorsque les conditions dans le sol deviennent néfastes (par exemple conditions anoxiques après des pluies importantes), les vers peuvent adopter un comportement de fuite et se rendre à la surface pour échapper au stress (les déplacements à la surface du sol étant bien plus rapides que les déplacements dans le sol). Ce comportement sera déclenché uniquement si les conditions, à la surface du sol, sont favorables, c’est-à-dire si le sol est suffisamment humide. En effet, les vers de terre n’ont aucun moyen de résister aux pertes en eau. Ils sont donc actifs dans les sols humides et entrent en quiescence dès que les sols sèchent.

Mortalité vers de terre après épandage de digestats et lisier de porc. Essai Kerguéhennec (Bretagne). 2022.
Suivi de la mortalité des vers de terre après l'épandage de digestats et de lisier de porc. Essai Ferti-Dig à Kerguéhennec (Bretagne). 2022.

Le comportement des vers, et les conditions climatiques qui règnent au moment de l’application des digestats, peuvent donc également expliquer la variabilité relative au phénomène de mortalité de surface. Si le sol et notamment sa surface est humide et si les vers considèrent que le digestat représente un stress (par exemple à cause de sa teneur en ammoniaque), ils peuvent tenter de fuir par la surface. Ce faisant, ils sont alors en contact direct avec le digestat et rencontrent de plus fortes teneurs en éléments toxiques. Au contraire, si les conditions sont sèches à la surface du sol, alors le comportement de fuite ne sera pas observé et les vers ne viendront pas s’exposer au digestat.

Conclusions sur le phénomène de mortalité de surface suite à l’application de digestats :
1) Ce phénomène peut être observé mais ne concerne pas tous les digestats ;
2) Quand la mortalité est observée, elle ne concerne au maximum que quelques pourcents de la population totale des vers ;
3) Le phénomène pourrait également dépendre des conditions d’humidité à la surface du sol lors de l’application : si les sols sont humides alors les vers percevant un stress peuvent décider de fuir par la surface, et par là-même, s’exposer de manière importante.

Effets un an après application

Pour évaluer les effets du digestat sur les vers, au-delà des possibles mortalités de surface, nous avons réalisé des estimations de populations un an après le dernier épandage (soit juste avant le nouvel épandage). Ces mesures ont été réalisées sur deux sites expérimentaux avec des blocs randomisés, celui de Kerguéhennec (en Bretagne) et celui d’Obernai (en Alsace). La logique est de comparer, sur différentes parcelles, les effets de plusieurs digestats à ceux de l’apport d’une dose équivalente en azote, soit sous forme de fertilisation minérale (témoin négatif, ce type d’apport est bénéfique pour les plantes mais ne joue pas un rôle important sur les vers) soit sous forme de fumiers (témoin positif, ce type d’apport représentant pour les vers une source d’alimentation).

prélèvement de vers de terre, Bretagne 2022
Prélèvement de vers de terre. Bretagne. CAB. 2022.

Sur les 2 sites, nous avons observé des résultats similaires mais nous ne présenterons ici que ceux obtenus à Obernai (essai géré par le lycée agricole). Sur ce site, nous observons des valeurs significativement plus fortes pour le traitement « fumier » (pour la biomasse et l’abondance de vers). Tous les autres traitements (digestats et « fertilisation minérale ») ne diffèrent pas entre eux et ont donc des valeurs plus faibles. Il est important de noter que pour l’abondance, la biomasse ou la diversité des vers, aucun effet négatif n’a été observé un an après application des digestats. L’absence d’effet positif des digestats, contrairement au cas du fumier, est probablement lié au fait que ce type de matières organiques est très labile et se dégrade vite dans le sol.

Abondance de vers de terres un an après épandage de digestat, fumier ou engrais minéral
Mesure d'abondance de vers de terre un an après épandage de digestat, fumier ou engrais minéral (Obernai, automne 2022)
  • DIGESTAT 1 : Digestat d’Obernai, composé de fumier de taurillons de l’établissement, lisier de vaches laitières, tontes de gazon, déchets agroalimentaires (graisses, etc.)
  • DIGESTAT 1S : Digestat d’Obernai corrigé, de même composition que DIGESTAT 1, avec un complément d’un produit suisse nommé Glenor KR+, composé d’algues et d’argiles
  • DIGESTAT 2 : Digestat METHACHRIST, composé de lisier de vaches laitières, pailles de maïs, déchets d’amidonneries, lactosérum
  • FUMIER : Fumier de taurillon

A retenir

Lorsque l’on s’intéresse aux effets potentiels des digestats sur les communautés de vers de terre, la principale conclusion est que les effets positifs (liés aux apports de matières organiques) sont supérieurs aux éventuels effets négatifs (toxicité immédiatement après application).

Néanmoins à ce stade, il est difficile de prévenir ces effets indésirables par le choix des produits épandus. En effet, l’état actuel des connaissances ne permet pas de relier la typologie des digestats aux indicateurs d’impact de leur épandage sur les lombriciens.

NH3

L’ammoniac pourrait jouer un rôle dans la mortalité immédiate des vers de terre, mais cela reste à confirmer.

< 2 %

Moins de 2 % des vers de terre de surface sont morts 48 heures après application des digestats.

1 an après épandage…

aucun effet négatif n’a été observé sur l’abondance, la biomasse ni la diversité des vers.

Les partenaires du projet Ferti-Dig

Le projet a été co-piloté par le laboratoire LBE d’INRAE et la Chambre d’Agriculture Bretagne (CAB).
Les travaux ont impliqué plusieurs équipes complémentaires œuvrant dans la recherche finalisée, la recherche appliquée, l’expérimentation ou l’enseignement. Ces partenaires travaillent ensemble notamment dans le cadre du RMT BOUCLAGE et contribuent à alimenter les références produites par le COMIFER.
Outre les apports d’autofinancements de chacun des partenaires, le projet a bénéficié d’un soutien financier de l’ADEME via son appel à projets « GRAINE », et de GRDF.